Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'Antoine

Textes choisis pour traductions

Extrait de Je hais le hockey par Pascal Bertschy

Si on pouvait habiter dans une patinoire, c'est là que je vivrais. Ou que j'aurais vécu, plus exactement. Longtemps, j'ai adoré le hockey sur glace. Il a bercé ma jeunesse, bariolé mon existence, adouci mes jours. Ce jeu m'a bluffé, dérouté, ému, enthousiasmé. Il m'a transporté et ouvert, par-dessus tout, une planète extraordinaire. Ses couleurs criardes semblaient sortir d'un écran de télévision, ses héros avaient l'air de venir d'un autre temps, ses beautés et ses mystères étaient à couper le souffle. J'ai béni ce sport, l'ai chanté, encensé, idolâtré, vénéré. Il m'a cueilli dès l'enfance et montré la vie comme je la voyais moi-même, c'est-à-dire telle qu'elle n'était pas. Le hockey m'a fait rêver, vibrer, rire, pleurer. Il m'a fait croire qu'il existait en hiver un monde meilleur, bien meilleur que les autres. Qu'est-ce que j'ai été bête ! Il m'a fallu atteindre le milieu de la cinquantaine pour réaliser ma méprise. En fait de l'enchanter, ce jeu a gâché ma vie. Bordel, qu'est-ce qui m'a pris de m'emballer pour ce truc-là ? Ça doit être toute cette glace. À la longue, elle a dû probablement me givrer le cerveau. Si au moins je m'étais contenté d'aimer ce sport en silence, seul dans mon coin et sans la ramener, mais non. Que j'étais dingue de hockey, je l'ai fait savoir. M'en suis vanté jusque dans des émissions de télévision. Le hockey, hahaha le hockey, c'est plus que génial le hockey, hou-houhou le hockey, je le connais et pas vous ! Pis je fais partie de la secte et vous pas, nanana. Vous vous rendez compte ? Moi, le plus délicat des hommes, je me suis targué d'aimer ça. Les épais qui font les intéressants en se disant fous de hockey, vous, dans les dîners en ville, vous en croisez beaucoup ? Je n'ai jamais bassiné quiconque avec mon inclination pour le cinéma, pour la boxe, le football, la littérature ou l'histoire. N'ai jamais emmerdé personne avec mon amour de la mer, des îles, de la forêt et des chiens, voire un petit peu des humains. À l'inverse, et quitte à passer pour un con, je n'ai jamais raté l'occasion de tanner la compagnie à propos de ce jeu. Bon, le rôle du con de service, je m'en fous. Je dirais même qu'il me va comme un gant de hockey, si j'étais honnête, mais là n'est pas le sujet. Le fond de l'affaire, c'est que les hockeyeurs m'ont menti. Dès mes 7 ou 8 ans, j'ai eu la faiblesse de croire à leurs arabesques et à leurs tours de prestidigitation. Leurs coups de patin dessinaient sous mes yeux un monde parallèle, m'emmenaient au pays des rêves. Problème, gros problème : ce royaume enchanté n'existait que dans ma tête. Or, sauf à basculer dans la folie pure, on ne peut pas vivre dans un univers imaginaire. Tout le monde, sitôt un match terminé, doit quitter la «pato». Il faut tôt ou tard laisser toute cette lumière, toute cette euphorie et toute cette netteté pour retourner dans ce lieu morne, pâteux et prévisible qu'on nomme la réalité. Impossible de compter alors sur les hockeyeurs. Match après match, ils vous laissent tomber comme une vieille chaussette. Quels lâcheurs ! Trois petits tiers-temps et puis s'en vont. On range les patins et les feux de Bengale, on éteint tout, veuillez rentrer chez vous. Les hockeyeurs vous abandonnent à votre quotidien, vous laissent en plan dans la nuit et le froid. (...)

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article